d'employer mes soins pour y parvenir; mais n'ayant pas trouvé la chose practicable alors, je me rendis au camp de ce Général, afin de conférer avec lui sur les moyens qu'ily auroit à prendre pour en venir à bout.
Par les informations qu'il avoit eu, et suivant les connoissances que j'avois prises, nous fûmes d'avis que cette convocation ne pourroit avoir lieu, qu'après la prise de Quebeck, atendu que les Royalistes, dont le nombre est considérable dans, les villes de Montreal et Trois-Rivieres, ne cessoient d'intimider le peuple sur les evènemens futurs, et de lui faire un portrait odieux et méprisant de la confédération de l'Amérique.
Ce brave Général, impatient de seconder les intentions du Congrès, voulut aplanir les difficultés et lever tous les obstacles par un coup d'édat, en donnant l'assaut à la ville de Quebeck; mais vous savez qu'il n'y reussit pas, et qu'il eut le malheur d'y finir ses jours, Il a été généralement regretté de tous ceux qui sont persuadés que des sentiments nobles et généreux l'avoient seuls determinés à soutenir les intérêts légitimes de ses compatriotes.
Ce contretemps n'a du tout point alteré ici les bonnes dispositions des Amis de l'Amérique, quoiqu'en tres petit nombre. Mais il a rendu les Royalistes plus audacieux que jamais, surtout ceux qui sont gagés par le gouvernement; lls crient déjà Victoire; cependant je me flatte qu'ils se trompent grossièrenjent, car quand on voudra ataquer Quebeck, suivant les règles de l'art, du côté de la porte du palais, aucune saison ne pourra empecher que cette ville ne soil prise en pen de jours.
Quatre canons divisés en deux batteries derrière un mur simple servant de parapet, et le dit mur prolongé sur la môme ligne jusqu'à cinquante toises qu environ garnis de creneaux pour la mousqueterie, composent toute la defense de cette partie.
Le local est tel que deux petites batteries que l'on pent établir facilement vingt à trente toises de distance pour battre ou en écharpe, ou de revers, ou en flanc, peuvent ruiner en peu de terns cette foible artillerie. Commela porte de la ville dans cet endroit est simple ainsi que son porlail, il ne seroit pas bien difficile d'y faire brêche, puisqu'une fois les quatre canons demontes, il n'auroit plus qu'à se garantir de la mousqueterie des creneaux. I1 est vrai que derrière ces creneaux.s'éleve un corps de caserne dans l'intérieur, du quel on pourroit fusilier. Mais la mousqueterie ne tient pas devant des batteries couvertes et disposées pour s'en garantir.
La majeure partie du restant de la place étant borde d'un cap presque inaccessible et tout roc, on ne pourroit y pratiquer aucune brêche. Reste la hauteur d'Abraham, où l'art a établis des fortifications irregulières, et dont les chemins converts ne sont pas finis; cependant, comme elles ferment une ligne presque droite depuis la côte d'Abraham jusqu'á celle du fleuve St. Laurent, il resulte de cette position que le feu des courtines et des faces de bastions est considerable, et ne peut être eteint que par une artillerie prodigieuse; outre cela le terrein exige que les parapets des trancliees y soient formées avec des sacs à terre, au lieu que du coté de la porte du palais, il n'y a que deux batteries que l'on peut attaquer, cornme j'ai dejà dis, en écharpe de revers ou en flanc, et qui par ce moyen n'ont point de défense.
J'imagine que si le Congrès daigne encore nous continuer ses secours généreux, et qu'un plan méthodique soit mis à l'execution, Quebeck ne tiendra pas longtemps.
Alors les Royalistes seront confondus, le juste prevau-dra sur l'injuste, les Canadicns timides seront enhardis, et on pourra faire des preparatifs contre les forces Parlemen-taires qui pourroient survenir cette année à dessein d'exécuter des resolutions prises depuis plusieurs années pour reduire dans un état de servitude tous les habitans du continent de 1'Amérique Septentrionale.
J'observe, à cet êgard, que lorsque le Ministère a voulut abolir les privileges des habitans de la Baye de Massachusetts, il a au moins cherché à sauver les apparences en leur faisant une mauvaise querelle par une imposition sur le thé. Quant aux Canadiens, on a cru pouvoir leur ôter les leurs sans tant de cérémonies, et même leur persuader que c'éoit pour leur bien, et qu'ils devoient en avoir une eternelle reconnoissance. Je vous avouerai franchement, qu'il faut avoir une triste opinion d'un peuple pour en agir ainsi; c'est le comble de l'humiliation, mais on s'est trompé.
Lorsqu'en 1765, le Général Murray, sous le prétexte spécieux de former des represenlans, tous Canadiens, voulut rétablir le gouvernement sur le même pied qu'il étoit sous la domination Françhise, il fut aisé de conclure que c'étoit un plan du Ministére, et que les promesses gargnties par la proclamation du Roy, en Octobre, 1763, n'auroient point lieu. Le Général Murray n'ayant pu mettre le dit plan à l'exécution, il fut rélévé. Le Ministere lui substitua le Général Carleton, qui, dans les mêmes vues, sonda le cœur des Canadiens, et ne negligea rien pour leur persuader que leurs anciennes lois, coutumes, et usages étoient ce qui pouvoient leur con venir le mieux; mais ayant trouvé l'opposition chez ceux qui savent preferer la liberté au despotisme, il ne donna plus sa confiance qu'aux officiers Conadiens et au clergé. Il trouva en eux tout ce qu'il lui falloit; c'esl-à-dire, des courtesans qui, flattés de 1'esperance de voir renaître un jour les temps où ils pouvoient dominer sur le peuple, ils le suivirent suivant ses désirs, et en conséquence adresserent au Roi une requête, au nom de tous les habitants de la Province de Quebeck, pour se soustraire à la sage constitution Britannique; e'est- à -dire, pour demander fers pour leurs concitoyens.
Il ne faut pas croire que les Canadiens en général se soient avilis jusqu'à ce point; quelques adulateurs et quel ques ignorans fanatiques des anciennes coutumes signèrent cette honteuse requête sans y avoir été autorisés que par eux-mêmes, au nombre de 65.
C'est d'après cette requête de commande que le Ministere qui avoit déjà ses vues, a saisi avec empresselnent l'occasion d'établir en ce pays le pouvoir arbitraire, au moyen du Bill de Quebeck. Tous les honnêtes gens de cette Provinces'y seroient vus assujeitis, si les Colonies voisines n'eussent daigne avoir pitié de leur malheureus; sort, et ne leur eussent prété leur appui pour secouer ce joug odieux. On ose croire que la reconnoissance de cette Pro-vince a l'égard de ses voisines sera éternelle: cependant on ne peut, et on ne doit pas cacher que cette bonne disposition et ses bons sentimens pourroient être corrompus dans quelques membres, si on n'avoit pas la précaution de purger la Colonie des flatteurs qui sont aux gages du Gouvernement,
On doit regarder comme certain, que si on les y laisse, subsister, ils y formeront une division qui pourroit devenir prejudiciable a toutes les Provinces Unies. Ils y travaillent même deja en insinuant au peuple qu'au printemps prochain il viendra ici une armee noinbreuse de 1'ancienne Angleterre, et que s'étant rendu coupable de rebellion, il ne leur restera pour ressource que l'aller joindre l'armée pour obtenir leur pardon, sans quoi ils seront brulés, pillés, et la majeure partie punis de mort.
Tels sont les propos que l'on tient journellenient à un peuple naturellement trop crédule. Si on ne coupe pas au plutôt le mal par la racine, il pourroit deyenir incurable; car des impressions de cette nature deviennent avec lejemps, comine des prejuges de l'enfance, tres diffciles á détruire: en outre, par les Spithetes outrageantes et injurieuses dont is se servent en parlant de nos bons voisins qui nous ont secourus, ils táchent de les rendre meprisables ainsi que la liberte aux yeux du peuple Canadien. Toutes ces menees ne peuvent que produire un mauvaiseffet, et elles sont l'autant plus dangereuses et sineuses que des precautions que l'on prendra á leur egard dependra beaucoup la conserva-tion de la Province.
Si, comme il est a presumer, il n'y a point d'arrangement entre les Colonies et 1'ancienne Angleterre d'ici au printemps prochain, il pourroient peut-être arriyer qu'elle enverroit des forces dans le fleuve St. Laurent pour tacher de penetrer dans les autres Colonies en ramenant les Canadiens sous le joug, soit par menaces, soit par promesses. Il paroitroit que pour rendre infructuese une pareille expedition, il y auroit deux moyens principaux qui a ce que je crois meritent une attention particuliére. Le premier seroit de maintenir les Canadiens, et le second d'empêcher les flottes de passer au-dessus de Quebeck.
Les circonstances presentes pour le maintien des Cana-diens paroissent avoir trois pointes de vue pour objet:
1. Qu'il soit pris des precautions convenables a l'égard des personnes gagés par le Gouvernement, des autres Royalistes, et surtout des militaires.
2. Quoiqu'il soit nalurel que les Canadiens payent leur quote part des frais de la guerre, j'imagine qu'il coTnrtgri-droit de retarder ce prelevement, atendu que ce peuple,
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